lundi 13 juin 2011

L'Histoire De Monsieur D.

Monsieur D. est né dans le Puy-De-Dôme. Pas à Issoire, ce serait trop facile. Encore que, ça se discute.
Bref, Monsieur D. est né à Antoingt, oui, ce n'est pas moi qui l'invente. Si vous ne situez pas, vous pouvez chercher sur une carte. Mais ça ne vous avancera pas à grand chose, il aurait pu tout aussi bien grandir à Tulle, ou Sarlat-La-Canéda, si quelqu'un peu me dire ce que ça aurait changé, qu'il se manifeste.
A Antoingt, il y a une église, comme dans toute commune française qui se respecte, et non loin de celle-ci, se trouve un moulin (ça, ce n'est pas le cas partout), délaissé par ses propriétaires depuis suffisamment longtemps pour qu'il n'en reste plus que quatre murs et un toit. Évidemment, il s'agissait du terrain de jeu favori des enfants du village. Et de quelques villages voisins bien sûr, mais ça non plus, ça n'est pas si important.
Ce moulin était fabuleux, parce que de l'extérieur, il paraissait tout à fait normal. Quelque peu décrépi certes, mais rien d'inquiétant, au moins pour nos valeureux parents, préoccupés de la sécurité de leurs rejetons. Tellement normal, qu'aucun n'eut l'idée de jeter un œil à l'intérieur, histoire de vérifier, à tout hasard, on est jamais trop prudent n'est ce pas, qu'un escalier ne menaçait pas de s'écrouler. Par exemple.
Depuis des années, bien avant la naissance de Monsieur D., aucun bipède dépassant les vingt printemps n'en avait passé la porte. Comme s'il était beaucoup plus intéressant de visiter le pigeonnier – à Antoingt, il y a aussi un pigeonnier, pas de la première jeunesse certes, mais qui vaut le coup d’œil si vous passez dans la région.

C'est ainsi, que Monsieur D., avec son amie Lucie et son grand frère Marco, régnaient en maîtres dans le domaine, conquérants de chaque recoin, dompteurs de l'obscurité.

Lucie entra donc dans cette petite pièce, à droite, tout au fond du couloir. Les autres n'y vont jamais, parce que c'est la seule qui a encore une porte, une vraie, avec une poignée, qui grince quand on l'ouvre. Ils ont essayé une fois ou deux, les gaillards, mais le bruit est tellement strident, qu'ils ont l'impression que leurs tympans se tendent, se gonflent, menacent de se déchirer. C'est en tout cas ce qu'ils prétendent pour ne pas s'y aventurer. Lucie sait bien que ce n'est qu'un prétexte, mais elle fait semblant. Du haut de ses neuf ans, elle perçoit bien la fierté de ces garçons. Elle sait aussi qu'en ayant l'air de n'y voir que du feu, elle a le terrain libre pour s'y risquer, presque à leur insu.
Derrière cette porte, la pièce est plus vaste qu'elle s'y attendait. Comme si des années de solitude l'avaient vidée de toute humanité, de toute présence, du moindre murmure. En ouvrant la porte, des milliers de conversations, de saisons, de joies et de peines se glissent contre Lucie, frôlent le sol, butent contre les murs et emplissent l'espace. Lucie regrette un peu d'être entrée. Il ne doit pas exister beaucoup de lieux ainsi épurés par le temps. Elle se demande de quel droit elle a rompu le charme. Les garçons n'y pénétreront pas, coûte que coûte.

mardi 24 mai 2011

La Casa De La Cultura

Cuba.
La Casa De Cultura de Trinidad.
Un après midi pluvieux, deux jeunes filles, taille moyenne, vague chevelure blonde, un peu perdues, partent explorer une ville, terre battue, pavés, pluie. La saison arrive, les portes sont ouvertes, un vieux monsieur les accueille. Il fait sombre, humide. Les meubles semblent avoir 100 ans. Ça sent le bois, la cire. Et peut-être la friture. Des tableaux, kitsch bien sûr, peut-être un piano, des coupures de journaux, jaunes, ivoires, blancs. La pluie dure. Il ne cherche pas à discuter. A peine.
La pluie cesse et les deux demoiselles reprennent leur route. Un sourire.
Elles montent vers le centre de village. Peut-être était ce une ville ?
A leur droite, apparaît une grande maison, style colonial encore, une porte massive, des larges fenêtres, d'où sort des sons rythmés, et des rires.
De toutes façons, elles ne sont attendues nulle part, elles entrent.
L'illumination, de toutes parts courent des enfants, des petits, des grands, de salle en salle, de jeu en jeu.
Un cours de danse, de salsa, de théâtre, de chant, de peinture. Encore un vieux piano. Une télé abandonnée dans un coin, racontant sa triste histoire à un auditeur invisible. Au fond, un patio. Derrière la patio, une cour, et dans cette cour, court une estrade, où se trouvent trois musiciens. Percussionnistes.
Les racines de Cuba sont multiples. Africaines, Antillaises, Espagnoles...
Des danseurs s'approchent et sur ce rythme entraînant, subjuguant, laissent leurs corps s'exprimer, se vider,
s'élever. Fascinées, elles s'arrêtent. De marcher, de parler, de penser.
Les rythmes s'enchaînent, les danseurs partent et reviennent. Le temps ralentit, accélère. Il est perdu, lui aussi.

La pluie revient. Le rideau tombe, l'instant s'évapore. Elles s'y accrochent, en gardent un morceau dans leur coeur, arrimé, tout au fond.
La maison du bonheur, un souvenir au goût de paradis.